728 x 90

OBESITE ET EXCLUSION Quand le surpoids entraîne un phénomène d'exclusion sociale et d'intolérance

img

A l'issu de l'étude sociologique « Obésité : Paroles d'enfants et d'adolescents » menée en 2003 par le sociologue Jean-Pierre Poulain à partir de témoignages recueillis sur le site internet www.obesite.com, il est ressorti que les personnes obèses faisaient l'objet d'un phénomène de stigmatisation, c'est-à-dire de discrimination et d'exclusion. Quels sont les problèmes rencontrés par ces victimes de la société et les solutions pour les aider à avancer et à ne plus souffrir ? Explications et réponses dans ce dossier.

Point de départ de l'étude : le site www.obesite.com « J'ai 16 ans et mon IMC est de 29. Pour provoquer mon entourage et me faire accepter, j'ai décidé de me lancer dans l'obésité sévère ». Le témoignage de cet enfant recueilli sur le site www.obesite.com fait froid dans le dos. Il reflète la souffrance de toutes ces personnes obèses qui ne savent plus comment faire pour se faire accepter et tenter de se sentir bien dans leur peau. Cet exemple n'en est qu'un parmi tant d'autres. « Au sein du corps médical, nous voyons ça tous les jours », explique le Pr Basdevant, nutritionniste à l'Hôtel-Dieu à Paris. « L'obésité est un véritable problème de santé publique. Il faut essayer de générer un discours préventif et avoir une réflexion plus sociétale », rajoute-t-il. En France, 5 millions d'adultes sont obèses. Véritable problème de santé publique, l'obésité reste une maladie mal comprise. « L'obésité suscite beaucoup d'intolérance et d'incompréhension. Nombre de sujets obèses se sentent isolés dans leur souffrance physique et psychologique. Ils n'osent pas en parler ou ne savent pas où trouver l'information », précise le Pr Basdevant. C'est une des raisons qui l'a convaincu, avec le Pr Martine Laville, endocrinologue au centre de recherche en nutrition humaine à l'hôpital Edouard Herriot de Lyon, de créer en juin 2001 le premier site francophone d'information et d'échanges dédié aux personnes obèses. S'adressant aussi bien au grand public qu'aux médecins, « obesite.com » a pour objectif de contribuer aux programmes de santé publique dans le domaine de la prévention ou du traitement de l'obésité. L'information est axée sur des messages positifs, se gardant bien d'orienter les internautes vers des méthodes inadaptées, telles que les régimes yoyo et restrictifs. Les autres raisons qui ont amené la création de ce site sont largement compréhensibles : - L'obésité apparaît comme une maladie de la nutrition la plus fréquente, avec une progression plus grande chez l'enfant. - Ses conséquences sont inquiétantes car elles sont synonymes de maladies diverses, telles que le diabète, les maladies cardio-vasculaires. De plus, l'obésité reste négligée : 2/3 des personnes concernées n'ont jamais consulté. Elle entraîne un phénomène d'exclusion et de discrimination. Les personnes souffrent dans leur coin et ne savent plus vers qui se tourner pour retrouver espoir. Enfin, ces personnes sont victimes de la dictature de la minceur imposée dans les sociétés occidentales comme le premier critère de beauté et de normalité. S'ajoute le foisonnement de régimes restrictifs dont les effets sont bien souvent déplorables. C'est donc à partir de ce site et du recueil de 250 paroles de 127 adolescents, hommes et femmes, qu'a pu être réalisée l'étude sociologique dont nous parlons. On peut alors constater la profonde détresse et solitude des personnes obèses. Comme le précise le Pr Basdevant, « ces échanges entre enfants et adolescents expriment un désarroi que des pratiques alimentaires focalisées sur la norme alimentaire et les régimes restrictifs aggravent ». Ce site permet de décortiquer le problème de l'obésité, ses causes, ses conséquences, les traitements envisagés et la prévention possible pour ne plus subir de discriminations. Il invite également chaque internaute à venir échanger et confronter ses expériences, mais aussi à trouver réconfort et encouragement. « « J'ai cessé de lutter avec mon poids... J'ai peur du regard des autres » Témoignage d’un garçon de 16 ans sur le site www.obésité.com »Enfin, il donne des conseils pratiques à appliquer dans la vie de tous les jours, tels que des conseils vestimentaires, des recettes de cuisine établies par un spécialiste de l'obésité, mais aussi la possibilité de participer à des groupes de motivation dans les moments difficiles. Les différents regards de la société sur l'obésité Il ressort de cette étude que les personnes obèses souffrent d'exclusion tant au niveau moral que social. Pourtant, cela n'a pas toujours été le cas. A une certaine époque, les corps ronds jouissaient d'un certain prestige social. Les femmes bien en chair inspiraient les plus grands artistes, aussi bien les peintres que les écrivains tels que Maupassant, dont les héroïnes aux formes gourmandes représentaient la volupté et la féminité absolue. De même qu'en Polynésie, jusqu'au début du 20ème siècle, il existait des concours de beauté dont le principe était de faire gagner la femme la plus grosse et la moins bronzée. Car pour les Polynésiens, une femme était belle lorsqu'elle était forte. Ici, le modèle esthétique est bien loin du notre, qui met en scène un certain nombre de valeurs, tels que la jeunesse et le culte du corps. Ce modèle qui est devenu celui de tous, reste un modèle réducteur qui entraîne des conséquences délétères. L'une d'entre elle est de taille. Elle concerne la légitimité de la discrimination de l'obésité. C'est donc dans la deuxième partie du 20ème siècle que l'obésité va faire l'objet d'une dévalorisation, ne rentrant plus dans les normes fabriquées par la société. Une personnes grosse est considérée comme malade. Elle devient une victime de la discrimination. Et cela, n'importe quelle personne concernée le constate dans sa vie de tous les jours, aussi bien dans son travail que dans son intimité. Il a été prouvé que chez les personnes souffrant d'obésité, le taux d'accès à l'enseignement est plus faible que chez les non obèses, qu'il leur est difficile de trouver un emploi, ce qui entraîne forcément des revenus moins élevés.
visage femme stressé
Côté vie privée, il ressort que les mariages sont descendants. Alors que les femmes minces se marient avec des hommes au statut professionnel plus élevé, les femmes fortes s'unissent plutôt à des hommes dont le statut social est moins élevé qu'elles. Résultat : la femme s'oriente vers le haut ou le bas de la société selon sa corpulence. Un problème d'ordre moral... Au début, l'obèse a été perçu comme une personne qui mangeait plus qu'il ne le devait, qui ne maîtrisait pas ses appétits. Coupable, il était considéré comme le seul responsable de son physique actuel. En 1990, Claude Fischler a montré que la différenciation entre le trop gros qui mange trop sans pouvoir se contrôler et le bon gros considéré comme un bon vivant a toujours existé dans la culture occidentale. A l'heure actuelle, la vision de l'obèse a décliné, le modèle de la minceur absolue se posant comme un idéal. ... et médical Petit à petit, cette vision morale a changé. Elle s'est déplacée vers une vision plus médicale, permettant de sauver l'obésité de ce regard moralisateur et réducteur. « En France, plus de 5,3 millions de personnes adultes sont obèses et 14,4 millions de personnes sont en surpoids. La proportion des personnes obèses ou en surpoids a augmenté de 36,7 % à 41,6 % en 6 ans. (Source Obepi 2003) »Ainsi, l'obésité est apparu comme un facteur de risque pour la santé. L'obèse n'est plus ce glouton responsable de son apparence, mais une personne malade que l'on peut aider et soigner. Le fait que l'on soit passé d'un vision morale à une vision médicale est un plus. Mais il faut faire attention à ce que le corps médical ne cherche pas non plus à lutter contre le surpoids de façon systématique. Ce discours médical pouvant au final conduire à légitimer cette recherche sans fin de la perte de poids. Car de nos jours, faire un régime paraît normal. Les femmes veulent maigrir, non pas parce qu'elles ont un problème de santé, mais pour des raisons purement esthétiques. Être au régime est inscrit dans l'ordre des choses. C'est un acte normal et banalisé, aussi bien chez les grands que chez les plus jeunes. Ce que les intéressées ne savent pas, c'est que faire des régimes restrictifs et à répétition est souvent la cause du surpoids et des problèmes alimentaires. Comme l'ont souligné très justement Germov et Williams, « cette épidémie de mise au régime pourrait bien être la cause du développement de l'obésité ». Le phénomène de stigmatisation Réprobation, discrimination, dévalorisation, autant de synonymes qui décrivent le regard de la société sur l'obèse. Celui-ci souffre, se met en retrait, ne sait plus se défendre et s'accepter. Il se sent coupable, et se dit qu'après tout, être beau c'est être mince. Comme il ne l'est pas, puisque lui aussi se réfère à des critères souvent stéréotypés et subjectifs mais bien ancrés dans notre société, il va se dévaloriser. Son image s'altère. De ce raisonnement vont découler des conséquences, parfois graves pour la victime. La société distingue deux groupes : le groupe des obèses, différent du groupe des personnes minces et soi-disant normales. Ainsi, la discrimination est légitimée et intégrée dans les mœurs. D'office, la personne obèse va être cataloguée de grosse. Son surpoids et sa « différence » vont faire de l'ombre à toutes ses autres qualités qui passeront inaperçues. L'obésité chez les enfants La discrimination chez les enfants obèses a des conséquences beaucoup plus importantes que chez l'adulte. Les enfants obèses sont en pleine construction psychologique et sociale. Le fait d'être confronté à des comportements négatifs de la part de ses petits camardes, d'être souvent traités de « petits gros » va influencer l'enfant par rapport à son comportement et donc son avenir. Il est facile de trouver plusieurs exemples de discrimination à l'égard de ces enfants. Au sport, les petits souffrant d'obésité vont avoir moins d'aptitudes physiques que les autres. Moins performants, ils vont être écartés et surtout mal notés. Comme bien d'autres, un adolescent de 16 ans (IMC 32) a été confronté à ce problème. Il raconte : « je peux dire que je n'ai jamais fait de piscine au collège et heureusement !... Cette année, en gym, je ne passais pas entre les barres parallèles ! J'étais vraiment honteux, tu te rends compte : devoir les élargir devant tout le monde exprès pour moi. C'est donc pour cela que j'ai demandé une dispense ». Ce témoignage illustre bien l'absence de prise en compte des besoins spécifiques des obèses lors des cours de sport mais aussi dans bien d'autres domaines.« La stigmatisation est le processus de discrimination et d'exclusion qui touche un individu considéré comme anormal. » « Le problème avec le sport et la compétition, c'est qu'il n'y a plus de place pour les obèses. Au rugby ou au judo, qui sont deux sports offrant de grandes possibilités d'intégration, il y a d'office une exclusion. C'est aussi aux enseignants de revoir leur barème de notation, car celui qui est de forte corpulence est de toute façon désavantagé », explique Jean-Pierre Poulain. Et au Pr Basdevant de rajouter : « les enquêtes réalisées montrent que les obèses n'ont pas d'activité physique. Alors que le sport est extrêmement important par rapport au problème de l'obésité ». Au sein du corps médical Cette discrimination semble également apparaître au sein du corps médical. Des études mettent l'accent sur des comportements négatifs de la part des médecins ou des étudiants en médecine à l'égard des personnes obèses, (Blumberg et Mellis,1985). Le Pr Basdevant s'explique : « il y a une perte du raisonnement médical. Au lieu de voir le patient en tant qu'individu, il le voit en tant que gros. Il y a un réel problème, que l'on peut constater en faisant la différence entre le diabète et l'obésité : ce raisonnement moral qui existe pour le poids n'apparaît pas pour le diabète et le taux de glycémie ». Ces réactions au sein même du corps médical ont amené de nombreuses associations défendant les obèses à s'opposer à ce genre de comportements. Aux Etats-Unis, la NAAFA (National Association to Advance Fat Acceptance) créée depuis 1969, et en France, Allegro-Fortissimo (voir Savoir Maigrir n°16), née à la fin des années 80. Des associations qui aident les personnes concernées à se prendre en main, à faire face au regard de la société, à s'accepter et à ne plus se considérer comme différentes. Quelles sont les solutions pour lutter contre l'exclusion ? S'accepter tel que l'on est Le sujet obèse a deux possibilités : soit il subit la situation, voit la vie en noir, déprime et se dévalorise en permanence, soit il s'accepte tel qu'il est en rejetant les stéréotypes de la minceur véhiculés par la société. Dans le premier cas, l'obèse va être persuadé que la minceur est le critère de beauté numéro 1. Ne rentrant pas dans le moule, il va se dire que la seule solution est de mincir, mais que l'objectif semble impossible à atteindre. Va alors s'ensuivre une série d'attitudes et de sentiments négatifs, tels que la dépression, ou encore le suicide, comme en témoigne cet homme : « moi aussi j'ai un problème de poids et j'ai aussi essayé de me suicider», ou cette jeune fille en détresse (IMC 31) : « J'ai 14 ans et je pèse 90 kg pour 1,70 m, et en ce moment je suis en train de sombrer en pleine déprime parce que je suis obèse, parce qu'aucun gars ne s'intéresse à moi ». Dans le deuxième cas, les victimes qui décident de faire face au problème vont avoir un raisonnement inverse. Dans un premier temps, elles vont commencer par accepter leur poids avant d'apprendre à se reconstruire. Lors de l'étude, il ressort qu'il existe trois façons de lutter contre la discrimination : 1) Se dire qu'être obèse n'est pas synonyme de laideur « Je suis assez grosse, mais je veux vous dire à tous que je l'assume, que je peux plaire et que bien des gens m'apprécient pour ce que je suis (.« Il y a 7 % d'obésité dans les milieux riches et 27 % dans les milieux pauvres. »..) ». Le témoignage de cette fille de 17 ans prouve bien que toute personne obèse peut assumer sa corpulence et ne plus faire de fixation sur son corps. Il est alors possible de plaire, de séduire et de se rendre compte que les gens vous apprécient pour vos qualités, autres que celles se rattachant à l'enveloppe corporelle. 2) Se dire que les apparences sont trompeuses et n'ont aucune importance L'habit ne fait pas le moine. Ce célèbre adage ne doit pas être oublié. Car l'apparence n'a jamais permis de définir la personnalité de chacun d'entre nous et de dévoiler nos nombreuses qualités. Le corps n'est qu'une image partielle de soi. En essayant de s'accepter, le comportement évolue. Il est alors plus facile d'aller vers les autres en oubliant son apparence. Rayonner et être bien dans sa peau permettront à l'entourage de vous regarder différemment. 3)Voir les autres autrement Les personnes obèses se sentent oppressées par le regard et les réflexions d'autrui. Mais pourquoi ne pas inverser les rôles ? Pourquoi est-ce que les autres, même s'ils sont minces et soi-disant « normaux », n'auraient-ils pas eux aussi des défauts ? Après tout, il n'y a pas que le fait d'être gros qui soit un défaut, une anomalie. L'objectif n'est plus d'essayer de rentrer dans le moule, d'être mince et de faire des régimes coûte que coûte pour ressembler à la masse, mais bel et bien de s'accepter tel que l'on est. Les personnes obèses doivent tenter de prendre conscience des phénomènes de discrimination. Il faut anticiper et réagir afin de mieux assumer leur situation au quotidien. Adopter une attitude sociale positive Il est important que la vision de la société sur les personnes obèses change. Pour cela, il faut que le discours médical quitte la référence à l'obésité et à la norme pour aller vers un discours préventif. Depuis le PNNS (plan national de nutrition santé), il y a eu une véritable réflexion de fond dans le domaine de l'éducation, sur la question des repas à la cantine par exemple. Il faut bâtir une prise de conscience et une réflexion, même si cela doit prendre des années. La lutte contre le rejet peut se manifester par la mise en place de diverses assistances et d'accompagnements psychosociologiques, des opérations de soutien, des organisations de défenses des obèses.

Obésité et mortalité

Le lien entre obésité et précarité est incontournable. L'obésité touche plutôt les personnes situées en bas de l'échelle sociale. S'ajoutent aussi les facteurs environnementaux comme le tabac, l'alcool, la sédentarité. Cette catégorie sociale présente d'ailleurs les taux de mortalité les plus importants de l'échelle sociale. La sociologie de la santé a montré que cette mortalité avait pour cause une différence d'accès aux soins. De même qu'il n'a pas encore été possible de démontrer que le fait de faire maigrir un obèse diminue les risques de mortalité. Et que les différents traitements pour lutter contre l'obésité, comme les régimes, ont des résultats satisfaisants sur le court terme, et mauvais à terme sur 5 ans.

Quelques chiffres concernant l'étude

Parmi les 127 personnes ayant permis de réaliser cette étude, on compte : • 67 % de femmes • 20.5% d'hommes • 31,5 % ont entre 16 et 18 ans • 20.7% sont dans la catégorie surpoids et obésité